Cet article est un extrait de « Les mots doux et puissants » de juillet 2022. 

« Ceux qui m’aident ont une voix différente de ceux qui m’ont fait taire » (carnets personnels, 2022)

Pour celles et ceux qui se disent « je me sens différent et c’est un problème ».

Sans noirceur, impossible de ressentir la lumière en nous et dans le monde.

La joie et la souffrance cohabitent dans nos vies.

Avoir souffert de ce que j’ai considéré comme des injustices ou du rejet a donné aux preuves d’amour et d’acceptation une saveur bien plus intense et nourrissante. Et en premier lieu, la reconnaissance de moi-même à moi-même : juste être Soi.

Les jours où revient la tentation de juger ce monde comme mauvais – et moi avec -, je reconvoque dans mes cellules les expériences de confiance d’autrui, de reconnaissance et de soutien.

Je n’oublie pas par où mon coeurps est passé.

Mais je ne reprends pas ce chemin.

On ne pourra pas élever ce monde sans repartir de la terre.

On ne pourra pas s’élever sans se tenir les mains les uns les autres.

S’élever ensemble commence par reconnaître notre humus, celui des failles, désirs, travers et élans, et l’humus qui nous accueille si inlassablement, chaque jour depuis la nuit de temps.

Accéder à notre dimension verticale et se tenir debout tel un seul homme, voilà le rêve auquel nous aspirons malgré nos luttes intestines.

Les autres sont comme des balises dans nos vies.

Ils nous aident à passer les caps, rester sur notre voie, la retrouver.

Parce qu’ils semblent nous en détourner ou nous la révéler, ils agissent comme des repères pour nous situer par rapport à notre propre trajectoire.

Dans la vie, il est rare d’avoir appris à demander de l’aide, ou à en recevoir.

Pour certains d’entre nous cela est naturel.

Pour moi, avancer a longtemps signifié tracer ma route seule en faisant fi des intempéries, serrant contre mon coeur mon espoir et mes rêves, serrant aussi les dents quand les coups durs se faisaient sentir.

Etre aidée signifiait être en position de faiblesse donc susceptible d’être abusée ou d’être redevable.

Je ne connais personne qui ne cherche pas d’aide, même sans l’exprimer.

L’autosuffisance intime ce serait la mort de l’humanité : nous existons grâce aux pores de nos intériorités, qui laissent passer une part de nos souffrances et nos joies pour signifier aux autres que nous pouvons leur tendre la main. Nous sommes passés par là, nous avons avancé.

Nous sommes des balises.

Et pourtant, dans cette recherche d’aide, combien de fois se détourner de soi-même pour croire qu’autrui sait mieux que nous ce que nous pouvons faire?

Combien de fois laisser aux autres notre pouvoir de décision, de libre arbitre?

Où est passée notre intuition, notre autorité intérieure?

L’autorité extérieure, quand elle devient abusive, est un vautour qui plane sur nous pour nous réduire en miettes. Nous croyons voir l’aigle royal qui va nous emporter sur son dos pour planer, mais bien souvent nous laissons les mots, les voix d’un autre prendre le pas sur nos propres velléités.

Alors, qui peut nous aider dans nos quêtes existentielles?

Elles ne se résument pas à chercher qui nous sommes ou quelle est notre voie. Ce sont aussi ces demandes de soulagement physique, de soutien psychologique, d’accompagnement professionnel, d’espace de parole…

J’ai longtemps cherché de l’aide par défaut, parce que je subissais des situations inextricables et que l’aide extérieure était alors indispensable. Ce n’étaient jamais des aides d’appoint : j’attendais toujours d’en arriver à la situation d’urgence pour m’avouer incapable de m’en sortir par moi-même.

Enfant, ado, encore loin des démarches qu’on peut faire adulte pour « aller mieux », j’ai trouvé de l’aide à ma façon dans des liens d’âmes soutenants, réconfortants et nourrissants.

Adulte, et probablement jusqu’à ma mort, je trouve finalement la meilleure aide de la même façon.

Je trouve drôle que finissent par se rejoindre mes intuitions d’enfant et mes démarches réfléchies d’adulte. La raison a fini par s’allier à l’intuition…

Ce qui va suivre contient je l’espère le moins de ressentiment possible.

C’est difficile donc d’écrire. Il y a le ressentiment et l’aigreur qui ont longtemps prévalu. Avant de reconnaître que ces mésaventures ont aussi craquelé mon coeur pour l’attendrir et lui faire reconnaître l’amour reçu par ailleurs.

J’ai croisé des personnes parées de ces attitudes décrites plus bas. Vous aussi. Aussi, je mêle mes expériences à celles d’autres personnes que moi. Ces échos des voies, ce sont ceux qui nous enjoignent à reconnaître nos souffrances, les nommer à notre façon, les sublimer, leur donner un sens. Avec au bout le détachement, un regard bienveillant sur soi mais aussi sur ces autres qui nous ont mis dans des situations difficiles voire douloureuses, la plupart du temps avec de bonnes intentions de départ…. mais sans savoir se poser les bonnes questions sur ce dont nous avions besoin (et nous alors, l’avons-nous fait ? la réponse plus bas).

Nous sommes tous un jour le bienfaiteur maudit, le sauveur blessant pour quelqu’un d’autre. La question n’est plus de savoir qui a fait mal, mais pourquoi cela nous a fait mal. Qu’est-ce qui en nous a été ravivé, au point d’accuser l’autre de ne pas avoir pris soin de notre blessure? Pourquoi une brûlure si vive?

Ce qui nous aide, ce n’est pas

  • l’enseignant qui n’accepte pas les remises en cause de son savoir, ni un comportement d’élève différent des autres.
  • les psys qui ont laissé dans le placard certains de nos problèmes pour se concentrer sur leur domaine de prédilection et nous analyser à travers une grille réductrice et conformiste
  • la coach qui reproche à son client de ne pas avoir assez avancé tandis qu’elle, elle avait bien réussir à faire ce parcours-là auparavant, dans un délai raisonnable. « Pourquoi vous bloquez? Qu’est-ce que vous attendez ? Pourquoi vous avez peur ? »
  • le maître spirituel qui fait sentir son ascendance au point où toutes nos actions deviennent rigidifiées par la peur de mal faire…
  • le médecin qui prescrit des arrêts sans se pencher sur ce que le coeurps dit, parce qu’il faut bien fonctionner donc on camoufle le symptôme et on laisse la cause perdurer
  • la liste est longue si l’on se veut victime de personnes qui n’ont pas su écouter, déceler, reconnaître… chercher….admettre, être vivant plutôt que séparés de la présence.

Je sens aujourd’hui au plus profond de mes cellules que la peur est l’envers de l’amour.

Je perçois si clairement combien ces aidants n’ont pas su jouer leur rôle auprès de moi car ils s’aimaient si peu dans ce moment de rencontre, pétris par la peur de reconnaître leur incapacité, leur ignorance, leur désarroi, leur incompréhension… La peur de faire face à leurs propres peurs, leur désamour et donc leur évitement, leur fuite (souvent en se mettant en mode solution, qui n’apportait rien que confusion).

Je perçois tout autant à quel point toutes ces parts blessées en moi n’étaient pas capables de recevoir le silence ou les paroles sans me sentir mal, sans me victimiser en enfant rejetée, abandonnée, maltraitée, invisible, disons-le mal aimée. J’étais encore en train d’attendre de ces autres qu’ils viennent se substituer à l’amour de moi que je n’avais pas.

Dans ces rencontres ratées, il ne faut pourtant pas grand chose pour reprendre la route vers un lien apaisé avec soi.

Simplement signifier à l’Autre: je ne peux qu’être humain avec toi. Je n’ai plus rien d’autre à t’offrir que ma présence.

Ma compassion, mon soutien. Je ne serai jamais à ta place, je ne comprends pas tes difficultés, ce qui te freine ou te fait mal. Mais jamais je ne remettrai en doute ta valeur, ta volonté, ta capacité.

Et cela est le vrai don de soi.

Nous sommes validés par nos ressentis quand ils relient les tripes au coeur. Il n’y a pas moyen de se tromper sur ce qui nous fait nous sentir vivants et avancer dans notre direction, la plus intime, celle qui fait parler notre coeurps.

ce qui m'aide

‘Rien ne vaut de reconnaître ta vérité, depuis tes tripes jusqu’à ta bouche, depuis tes racines jusqu’à ton ici et maintenant. » #softandstrong

Ceux qui m’ont aidée, et ceux qui m’aident sont si nombreux qu’ils effacent en une fraction de seconde la liste précédente.

Ils me font me sentir valide de toutes les manières.

Parce qu’ils ont incarné leur souffrance sans en faire un bouclier contre le monde ou une hache de guerre, et ont replacé l’amour au-dessus de tout. Alors, la peur s’en retourne et on ne détourne plus le regard des difficultés des autres – même quand elles nous renvoient à nos propres failles.

La place pour l’amour est sans limite, elle naît de cette reconnaissance tacite qui élargit la mer du coeur et sort du confinement nos potentiels d’incarnation.

Je pense à beaucoup de personnes, trop pour les citer.

J’espère fort fort que vous aussi vous en avez plein dans le coeur.

Pour moi, ces personnes se retrouvent dans les mots et la voix de celles et ceux qui osent dire, parler, raconter, chanter, écrire l’intime de nos vies.

Ces auteurs qui m’ont soutenue, inspirée, motivée, réconfortée par leurs mots si justes. Des bouées de sauvetage et des guides depuis mon enfance.

Ces personnes qui ont témoigné de leur parcours de vie, en particulier les thérapeutes et accompagnants venant d’un chemin de résilience physique et.ou psychologique de souffrance qu’ils ont transmutée pour se mettre au service du soin des autres.

Ces compositeurs, chanteurs, qui ont si bien décrit l’intime de ma vie sans me connaître et m’ont ainsi tenue littéralement debout dans les moments de détresse où je frôlais le gouffre, et aussi dans les phases de grande joie où la musique nous permet de célébrer encore mieux.

Ces personnes, proches ou moins proches, qui ont su m’accueillir sans « rien faire » pour, juste en étant là, dans leur façon d’être, ce qui automatiquement m’a enfin autorisée, moi aussi, à être moi, sans fard, sans honte, avec joie et tranquillité.

Ces personnes dans ma vie qui ont su me dire les mots justes pour moi, dans l’amour et la simplicité, sans faux-semblant.

Et celles qui simplement en vivant leur voie personnelle m’ont prouvé qu’on peut prendre sa place dans ce monde en osant vivre ses différences.

Tous ces gens qui ont exprimé de l’intime pour me faire sentir reliée au monde.

Me faire sentir que je n’étais ni à part, ni obligée d’être une autre, ni condamnée à rester avec des étiquettes ou des souffrances. Me redonner la confiance en ma capacité à exprimer ma nature profonde.

Tous ces gens ont pris la parole, par les mots écrits ou par la voix, exprès pour moi ou bien pour un public dont j’ai fait partie.

L’effet sur le coeur et le corps des mots entendus ou lus est d’une puissance libératrice quand ils viennent nous toucher avec douceur à l’endroit de nos failles en demande d’attention, de nos désirs non encore réalisés, de nos aspirations d’âme.

Les mots sont insuffisants et impuissants pour décrire le sentiment de reconnexion à soi qui a lieu quand on se sent véritablement touché au plus profond par les mots ou la voix d’un autre.

C’est une reconnaissance, oui. De celle qui nous dit que nous ne sommes jamais seuls.

Et qui vient aussi nous rappeler que nous aussi, nous avons à exprimer quelque part, dans une place qui est la nôtre, notre part singulière, pour nous laisser voir dans notre parfaite imperfection, et pour toucher les autres à leur tour.

Ma vie aujourd’hui consiste à donner mes mots et ma voix pour accueillir ceux des autres, et ainsi contribuer à ma façon, à faire de ce monde un lieu de liberté d’expression.

C’est ce à quoi j’oeuvre aussi en guise de juste retour, de merci, envers toutes ces personnes qui m’ont élevée vers l’amour de qui je suis, et qui ont ainsi renforcé ma foi dans la richesse des rencontres de nos singularités.

L’horizontalité dans les relations à autrui c’est cela pour moi : se mettre ensemble au ras du sol, au bord des failles, pour y apporter plus d’amour et ainsi s’élever ensemble, sans distinction ni jugement d’aucune sorte, vers ce que nous sommes venus incarner. 

marion dorval